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Akaflieg München Mü 13
Richard FERRIERE

Les mythologies grecque et celtique en la personne d'Atalante et de Merlin, penchées ensembles sur un même berceau, fut-il un berceau de construction, ne pouvaient que parrainer un planeur fabuleux. Le Mü 13, né sous de tels auspices, dépassa de loin les espoirs que ses créateurs avaient mis en lui.

L'histoire débute lorsqu'on 1932, Egon Scheibe, étudiant à l'Université de Munich, adhère à l'Akaflieg. Ce groupe avait alors à son actif un certain nombre de réalisations intéressantes dont l'élégant Mü 3 Kakadu de 1928 et la construction en 1930 de l'énorme Austria d'August Kupper de 30 mètres d'envergure. Le projet Mü 10 auquel participe Scheibe porte sur la conception d'un planeur biplace de performance dont le fuselage est pour la première fois constitué d'une structure en tubes d'acier soudés. Les innovations portent également sur le premier train d'atterrissage à roues de fuselage structurales et l'étude du comportement d'une nouvelle génération de profil d'aile étudiée à l'Université.

Le premier vol du Mü 10 Milan fut réalisé par Scheibe le 21 juillet 1934. Il démontra qu'une finesse de 22, tout à fait exceptionnelle pour un biplace de l'époque, était atteinte. Les qualités de pilotage et les performances entrevues lors des essais furent confirmées le 20 août 1934 par Rudolf Ziegler qui réussit lors d'un vol de 5 h 30 à franchir les 327 km qui séparent Hesselberg de Tabor.


Mü 10 Milan

Devant la justesse des solutions expérimentées sur le Milan, il fut décidé d'en extrapoler un monoplace de performance qui, réalisé sous la direction de Scheibe, prit le nom de Mü 13. En fait ce sont deux prototypes qui entrèrent en construction durant l'hiver 1935-1936: le premier (D- Merlin) fut réalisé par l'Akaflieg de Munich ; le second (D-Atalante) fut mis en chantier à titre personnel par Kurt Schmidt.

Merlin et Atalante au pinacle

Le premier vol du Mü 13 fut réalisé au printemps 1936 par le D-Merlin. Les essais à peine terminés, Wiesenhöfer de l'Akaflieg de Munich l'engagea en juin 1936 dans la première course en étapes organisée pour des planeurs. Il s'agissait de réaliser dans le temps le plus court un circuit de plus de 700 km reliant Darmstadt, Nuremberg, Münich, Augsburg, Böblingen, Mannheim, Darmstadt. Wiesenhöfer réalisa le parcours en 10 jours et se classa 4e derrière Dittmar, Baur et Osau.

Mû 13 Merlin Mü 13 Merlin poste de pilotage
Le Mü 13 Merlin avant sa transformation en motoplaneur.. On remarque que les fenêtres latérales dans les
flancs du fuselage ne sont pas aménagéessur le Merlin,  elles n'apparaîtront que sur l'Atalante

Le second prototype, D-Atalante, fut terminé par Kurt Schmidt en juillet 1936. Kurt Schmidt avait eu son heure de gloire lorsque les 3 et 4 août 1933 il avait battu à bord d'un Grünau Baby IIa, le record du monde de durée (36 h 36). Schmidt, qui n'avait plus guère fait parler de lui depuis cette date, n'apparaissait pas comme un favori lorsqu'il se présenta le 15 août 1936 à la Wasserkuppe pour participer au 17ème concours de la Rhön. Son Mü 13, avec son fuselage anguleux et son aile peu effilée dont la peinture était à peine sèche, ne semblait pas non plus redoutable en face des nouvelles machines qui, telles les Moatzagotl, Minimoa, Condor et Sperber Junior, présentaient des fuselages monocoques très profilés et de gracieuses ailes en mouette. Le 30 août, la surprise était totale, Schmidt était vainqueur avec 1 800 points et 800 points d'avance sur le second Hakenjos. Il avait successivement battu le record de durée de la Rhön (13 h 30) et réalisé la plus grande distance avec but fixé (250 km) lors d'un vol Wasserkuppe-Trier.


Kurt Schmidt à bord du Mü 13 Atalante lors du concours de la Rhön 1936


L'extension de la verrière dans les bord d'attaque permet d'améliorer la visibilité latérale
comme les fenêtres triangulaires ouvertes sur les flancs du fuselage


L'Atalante tout comme le Merlin possédaient des volets de courbure conjugués avec les ailerons qui braqués
à fond jouaient le rôle d'aérofreins et un plan de profondeur pendulaire qui devaient t être remplacé sur le
Mü 13D par des aérofreins DFS et par une profondeur à plan fixe et gouverne mobile

L'année suivante, du 4 au 18 juillet, se déroula sur le terrain de la Wasserkuppe le premier concours international de vol à voile. Cette épreuve qui peut être considérée aujourd'hui comme le premier championnat du monde rassemblait 28 planeurs représentant 7 nations. Kurt Schmidt sur Atalante s'y classa 5e avec 1 116 points derrière Dittmar sur Fafnir II (1 662 pts), Hofmann sur Moatzagotl (1 427 pts), Späte sur Minimoa (1 325 pts) et le Suisse Sandmeier sur Moswey (1 129 pts), 8 jours plus tard, Schmidt inépuisable effectuait lors du 18ème concours de la Rhön la meilleure performance en vol de distance (289 km).


Le Mü 13 Merlin fut modifié par l'adjonction du moteur. On note que  le  train escamotable est
composé de deux petites roues diabolo montées au bout d'une fourche de 40 cm de manière à assurer
la garde au sol de l'hélice . La prise de pression dynamique est déplacée au moyen d' une perche
sur l'aile droite en dehors de la zone perturbée du sillage de l'hélice
Mü 13 Merlin
On remarque sur cette vue les volets de courbure réalisés en tubes d'acier soudés

Le Mü 13 D : planeur de performance

Au cours de ces deux années, le Mü 13 avait fait la preuve de ses indiscutables qualités et il fut décidé de le construire en série dans les ateliers de la Schwartzwald-Flugzeugbau  Gesellschaft (SFG) à Donaueschingen. La version de série désignée Mü 13 D présentait un certain nombre de différences avec le Merlin et l'Atalante. L'aile est à présent dépourvue de volets de courbure mais munie d'aérofreins DFS d'intrados et d'extrados tandis que les ailerons sont construits en bois. Le fuselage reste inchangé à l'exception des fenêtres latérales dont les dimensions sont réduites et du train d'atterrissage composé à présent d'une roue unique de plus gros diamètre qui remplace le train à roues diabolo de petit diamètre. Les empennages sont par contre sérieusement remaniés. Le plan vertical est à présent composé d'un moignon de dérive et d'une gouverne de direction de surface moindre. Le plan horizontal est agrandi et se compose d'un stabilisateur coffré et d'une gouverne de profondeur entoilée.


La version Mü 13 D de série du  fut produite jusqu'à la fin de la guerre par Schwarzwald-Flugzeugbau

C'est avec un Mü 13D que Schmidt s'engagea en 1938 dans la course par étapes Sylt, Kiel, Altona, Hagenow, Wittenberge, Brandeburg, Berlin, Rangsdorf, Kottbus, Sorau, BresIau (810 km) et réussit à s'y classer 2ème derrière Hanna Reitsch. Il participa également au 19ème concours de la Rhön où il effectua un vol de 410 km qui lui permit d'accéder à la 5ème place. Enfin 1939, dernière année de la paix, consacra la gloire de Schmidt et du Mü 13D avec tout d'abord, du 18 juin au 8 juillet, la course Freiburg-Stettin (840 km) qui traversait l'Allemagne d'ouest en est. Sur les 22 concurrents entrés en lice, 14 seulement attinrent le but. Le premier fut Schmidt devant Braeutigam sur Weihe et Flinsch sur Darmstadt D 30. Ce fut ensuite la 20ème Rhön qui fut l'occasion d'un fantastique duel entre Schmidt sur Mü 13D et Erwin Kraft sur Condor III. Au bout de 14 jours d'un combat farouche, Kraft battait Schmidt avec 17 points d'avance sur un total de 2 550.


Quelques planeurs participant au concours 1939 de la Rhön . Les D-3-393, D-4-866, D-2-365, D-7-2193 sont des Mü 13D

La guerre devait interrompre la belle aventure du Mü 13 et du grand pilote que fut Kurt Schmidt. Il fut intégré au DFS (Deutsche Forschunginstitüt fur Segelflug) dans une équipe de vélivoles célèbres (Dittmar, Späte, Reitsch...) qui sous la direction d'Alexander Lippisch élabora le projet du premier chasseur à moteur fusée. Schmidt trouva la mort en 1943 lors d'un vol d'essais d'un prototype du Messerschmitt 163.


Kurt Schmidt

Description

Le Mü 13 se présente comme un monoplace à ailes hautes cantilever. La voilure, réalisée en deux parties purement trapézoïdales, présente une envergure de 16 m et un allongement de 16 ; son profil Mü 14 % est dérivé de celui employé sur le Milan et présente un bord d'attaque très arrondi et un intrados pratiquement plat. La structure de l'aile est composée d'un longeron principal du type caisson constitué de semelles en sapin et d'âmes en contre-plaqué, d'une barre de traînée oblique et d'un longeronnet servant de support aux articulations de volet et d'aileron. Les nervures construites en treillis de baguettes d'épicéa sont enfilées sur le longeron. Entre le bord d'attaque et le longeron, la zone d'emplanture et la partie située entre le longeron et la barre de traînée sont coffrées en contre-plaqué et assurent l'absorption des efforts de torsion ; le reste de l'aile est entoilé. Le bord d'attaque à l'emplanture fait partie intégrante de la verrière et est recouvert de rhodoïd afin d'améliorer la visibilité horizontale. Les extrémités du longeron principal sont garnies de ferrures traversées par un axe vertical qui assure l'assemblage des ailes entre elles. Deux ferrures placées sous le longeron principal et dans la barre de traînée permettent le positionnement et la fixation de la voilure sur le fuselage. Le bord de fuite de l'aile est occupé, dans les versions Atalante et Merlin, par des surfaces mobiles composées des volets de courbure et des ailerons réalisées en structure de tubes d'acier entoilés. Les volets destinés à améliorer la portance en spirale et à faciliter l'atterrissage sont connectés avec les ailerons de façon à participer de manière différentielle au gauchissement. Sur la version de série les volets sont supprimés et au profit d'aérofreins DFS d'intrados et d'extrados


Un Mü 13D allemand "prisonnier de guerre" photographié à Pont-Saint –Vincent dans les années cinquante.
On remarque qu'il porte encore l'immatriculation en deux groupes de chiffres caractéristique des planeurs du IIIème Reich
(le chiffre 15 indique qu'il vient de la région de Stuttgart)  mais un drapeau français recouvre la swastika. La verrière
 qui est typique de celles des  modèles de série met en valeur la position du pilote proche du centre de gravité ,
très  reculée  par rapport au bord d'attaque de l'aile et qui justifie la disposition des différents panneaux transparents.

Le fuselage du Mü 13 est réalisé en treillis de tubes d'acier au chrome-molybdène (CD4S) soudés à l'autogène. Il présente une section rectangulaire dont la forme anguleuse est adoucie par des lisses en sapin fixées le long des flancs. Exception faite des grandes fenêtres triangulaires ouvertes de part et d'autre du poste de pilotage, le fuselage est entièrement entoilé. Afin d'assurer une inertie en tangage et en lacet aussi faible que possible, le pilote est installé au centre de gravité. De fait la verrière qui protège le poste de pilotage présente une forme quelque peu tourmentée puisqu'elle participe à la fois au profilage du fuselage et à celui du bord d'attaque de l'aile. Sa forme est donnée par l'assemblage soudé de petits tubes d'acier que viennent recouvrir des panneaux de rhodoïd vissés. Sur l'Atalante le pare-brise etait articulé sur le montant droit et pouvait être ouvert en vol afin d'assurer la ventilation du poste de pilotage. La configuration de la verrière qui constitue l'une des caractéristiques les plus typiques du Mü 13, offre un champ de vision des plus médiocre en particulier sur les côtés et vers l'arrière. La partie située immédiatement derrière le poste de pilotage sert d'assise d'implantation aux ailes. La fixation de chacune d'elle est obtenue au moyen de tétons d'acier soudés sur la structure perpendiculairement à l'axe du fuselage à l'avant et parallèlement à l'arrière. Le dessus de la zone d'implantation est recouvert par un carénage démontable.


Le même Mü 13D est à présent réimmatriculé F-CABM. Après une grande visite et une nouvelle peinture
La verrière qui n'a pas subi de modification de forme voit toutes les surfaces recouvertes de panneaux transparents.
 


Comme la plupart des planeurs français de l'époque, la livrée était probablement jaune-crème (marché d'état
avec Valentine), des bandes oranges cerclaient les ailes et le fuselage, l'immatriculation était peinte en rouge

Le train d'atterrissage comprend d'avant en arrière : un patin en frêne amorti par blocs de caoutchouc, deux roues diabolo de faible diamètre placées en avant du centre de gravité, une béquille en acier protégeant l'étambot. Sur le Merlin qui devait, dans une phase de développement ultérieure, se voir adjoindre un groupe motopropulseur de nez, les roues sont montées au bout d'une fourche de 40 cm pivotant vers l'avant et assurant la garde au sol de l'hélice lors du décollage. Sur le second prototype (D-Atalante) les roues sont fixées directement sur l'ossature du fuselage; le groupe propulseur, qu'il fut un temps envisagé d'installer, devait être monté sur un pylône articulé derrière le longeron d'aile et escamotable dans le fuselage. Sur la version Mü 13D le train est composé d'une roue unique encastrée


Une vue de côté permet d'apprécier l'importance des surfaces vitrées ouvertes dans les flancs du fuselage

Sur l'Atalante et le Merlin l'empennage vertical construit en bois entoilé, est entièrement mobile et articulé sur le dernier cadre de fuselage. Le bord d'attaque coffré sert de bec de compensation aérodynamique et statique.  Les plans de profondeur sont du type pendulaire. Construits en bois et toile, ils s'enfilent sur un axe tubulaire articulé sur la structure du fuselage et actionné par la timonerie de profondeur. Sur la version Mü 13 D, une partie fixe de forme trapézoïdale joue le rôle de dérive tandis que le plan de profondeur est constitué d'un plan fixe et d'une gouverne de profondeur non compensée.

Cliquer ici pour voir le plan trois vues en grandes dimensions



Télécharger le modèle pour Flight Simulator

Caractéristiques

Envergure : 16 m
Longueur : 6.06 m
Surface : 16.16 m2
Allongement : 15.85
Dièdre : 1°
Flèche : 0°
Profil : Mü 14%
Masse à vide : 170 kg
Masse maximale : 270 kg
Charge alaire : 16.7 kg/m2
Vitesse de décrochage : 50 km/h
Vitesse maximale : 200 km/h
Chute minimale : 0.6 m/s à 55 km/h
Finesse maximale : 28 à 66 km/h

En vol

Les Mü 13D ne firent leur apparition en France qu'après la fin de la guerre dans le contingent des planeurs , les Kriegsgefangener (*), récupérés en Allemagne au titre des réparations pour dommages de guerre. Il faut se souvenir que les allemands avaient confisqué ou détruit dès le début de l'occupation l'ensemble de l'aviation légère ou sportive. Ils furent affectés aux Centres Nationaux de Beynes (F-CAEQ puis F-CRRA) et Pont-Saint-Vincent  (D-15-989, puis F-CABM puis F-CRKK) où, en compagnie des Weihe, Minimoa, Meise, Rhönbussard, Gövier, Kranich II... ils officièrent en tant que planeur de performance. Grâce aux témoignages des pilotes qui l'utilissèrent lors de séjours en Centre, on peut se faire une idée des caractéristiques de vol de cette machine. Tous font état d'un planeur susceptible de voler très lentement en spirale (50-55 km/h) avec un faible taux de chute (0,6 m/s) et un rayon de virage à moyenne inclinaison de l'ordre de 30 m. L'une des particularités de son pilotage provenait du formidable lacet inverse provoqué par le braquage des ailerons qui impliquait le croisement complet des commandes lors des mises et sorties de virage. Au demeurant le Mü 13 était une machine fort appréciée pour les vols de distance en raison de sa stabilité, de sa maniabilité, de son caractère accrocheur  et de sa finesse élevée pour l'époque. Son défaut majeur déjà évoqué provenait de la très mauvaise visibilité offerte par la verrière. Pour ce qui concerne les qualités voilières, tous ses anciens pilotes sont unanimes à dire que c'était l'un des planeurs les plus accrocheurs qu'ils aient connu et la plupart l'estiment supérieur à l'Emouchet qui constitue une référence dans le genre. De fait ce planeur était idéal pour "crevarder", partir sur la campagne dans le petit temps et rester en l'air alors que tout le monde était au sol ou posé "aux vaches". En résumé et selon l'expression imagée d'un vieux vélivole : "... pour rester en l'air avec le Mü 13, il suffisait de péter un coup et de spiraler dedans !".

(*) "Kriegsgefangener" signifie "prisonnier de guerre" en allemand. Ce mot avait une résonance toute particulière pour les Français qui l'associait avec des souvenirs récents d'humiliations, de souffrances et de privations endurées par une grande partie de l'armée qui avait passé la guerre dans des camps de prisonniers avec les lettres KG (Kriegs Gefangener) peintes en blanc au dos de leurs capotes


Le Mu 13D de Beynes est prêt au décollage. La verrière d'origine a été fortement modifiée de façon à accroître
le confort du pilote et la visibilité. On note que les zones vitrées sur le bord d'attaque ont été supprimées

Épilogue

Après la guerre, Scheibe installa à Dachau sa propre manufacture de planeurs et développa les concepts élaborés pour le Mü 10 et le Mu 13, en particulier le mode de construction et le profil d'aile, sur des machines telles que les biplaces Mü 13E, Bergfalke, SF 25 Motorfalke et les monoplaces Zugvogel et Spatz. Sur ce dernier on devait retrouver beaucoup des caractéristiques voilières et de pilotage du Mü 13D

Aujourd'hui rares sont ceux qui se souviennent encore du Mü 13, il faut cependant retenir qu'il a constitué une étape majeure dans l'histoire du vol à voile dans la mesure où il fut le premier planeur construit en série à posséder un fuselage réalisé en tubes d'acier. Cette technique de construction qui, dans la période 1945-1970, fit école dans tous les pays peut être considérée comme aussi importante, tout au moins en ce qui concerne les planeurs d'école et d'entraînement, que ce que fut, dans les années soixante, la révolution du plastique pour les planeurs de performance.
 
 

La construction de la maquette du Mü 13d au 1/5


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