Page d'accueil du site| Home page

Wassmer Wa 30 Bijave
Richard FERRIERE

Il avait une paille dans la poutre
 

 En 1957, le SFATAT poursuivant sa politique d'encouragement du vol à voile lança auprès des constructeurs français un concours ayant pour but de créer un nouveau planeur biplace destiné à prendre la relève des vieux C 800 et C 25S qui constituaient alors l'essentiel du parc des biplaces  école.  Répondant  à  cet  appel d'offre, trois constructeurs entrèrent en lice :
 


L'aile volante AV 22 de Charles Fauvel


Le Bréguet Br 906 Choucas


En 1959, les trois machines furent présentées au concours. L'aile volante AV 22, expérimentée depuis 1956, fut immédiatement envoyée au Centre National de Saint-Auban où Jules Landi fut chargé de l'évaluer. Très vite, il apparut que l'AV 22, malgré ses qualités, ne constituait pas la machine idéale dont rêvait la nouvelle génération d'instructeurs. On lui reprochait le manque d'efficacité de la gouverne de direction qui ne rendait pas le pilotage absolument classique. On souhaitait alors disposer d'un matériel polyvalent, utilisable tant en biplace qu'en monoplace et susceptible de permettre, sans effort d'adaptation, à l'élève d'accéder rapidement à des machines plus complexes. De plus, le monde vélivole, conservateur malgré tout, demeurait quelque peu réticent face à l'inorthodoxie de conception de ce type de planeur.

Rapidement ne restèrent plus en lice que le Choucas et le Bijave. Le Choucas partait incontestablement favori grâce à ses performances, ses lignes harmonieuses et l'auréole qui entourait à l'époque les planeurs Bréguet. Cependant, le Choucas, qui était issu de la Fauvette, adoptait un processus de construction identique faisant appel à des matériaux nouveaux tels que le sandwich de contre-plaqué/ Klegecell et les résines epoxy qui sur la Fauvette commençaient à être source de problèmes. Ce type de construction avait en outre le défaut d'être coûteux, lourd et relativement fragile. Malgré tout, l'Administration décida d'en passer une commande de 100 exemplaires conditionnée par un certain nombre d'adaptations techniques et  financières.  Trouvant  devant  lui  une société Bréguet hermétique à tout accommodement, l'Etat se désengagea en annulant a commande. Cette résiliation de contrat fut le prétexte tout trouvé par les nouveaux dirigeants de Bréguet de supprimer la division planeur au sein de leur entreprise.

C'est donc Wassmer qui, pratiquant vis-à-vis de l'Administration une politique souple et conciliante, réussit à décrocher pour son Bijave la commande d'Etat. Celle-ci revenait finalement en toute logique au planeur dont la conception respectait au plus près l'esprit même du concours. D'autre part, et contrairement à Fauvel, Wassmer possédait une structure industrielle adaptée à la production en moyenne série mais n'était pas, comme le cas  de  Bréguet,  l'appendice  contingent d'une très grosse société axée essentiellement vers l'aviation commerciale et militaire.

Description technique

  Le fuselage est constitué d'une structure en tubes d'acier soudés, entoilée dans sa totalité à  l'exception  de  la  pointe avant et de divers carénages amovibles réalisés en plastique moulé. La dérive construite en bois et entièrement coffrée est boulonnée sur la structure métallique. Les postes de pilotages, disposés en tandem, sont recouverts de deux verrières en plexiglas et articulées sur le côté droit du fuselage ; elles sont séparées par un arceau en plastique. Les commandes sont disposées de façon classique, on note cependant que les palonniers sont réglables aux places avant et arrière ; les sièges, réglables également, sont constitués d'une structure en tube recouverte de toile forte. La gouverne de direction construite en bois entoilé possède à son sommet un petit bec rempli de plomb jouant le rôle de compensateur statique.  La profondeur monobloque voit son bord de fuite partiellement occupé par un anti-tab (compensateur automatique) et un compensateur commandé.  Le train d'atterrissage est composé d'une roue fixe montée sur une fourche articulée amortie par sandows, elle est équipée d'un frein à tambour commandé hydrauliquement en bout de course de la commande d'aérofreins ; la queue est protégée par une béquille métallique amortie par un bloc de caoutchouc.


Le plan central vient se fixer sur le fuselage au moyen de trois ferrures


La structure du fuselage est composé dans sa partie inférieure d'un treillis
en tubes d'acier soudés et dans sa partie supérieure d'un profilage
constitué de couples léger et de lisses en spruce, l'ensemble est entoilé


 La commande et la fixation de l'empennage horizontal pendulaire


L'atterrisseur principal est composé d'une roue amortie dotée d'un frein à commande hydraulique et d'un patin
amorti par des anneaus de caoutchouc


Le poste de pilotage avant


Le poste de pilotage arrière

 La voilure est réalisée en trois parties : un plan central sans dièdre de forme rectangulaire fixé sur le dessus du fuselage par trois ferrures et deux plans extérieurs démontables implantés avec un angle de dièdre de 4,5°. La voilure, qui possède un profil NACA 63 821 (évoluant vers un NACA 63 615) est constituée d'un longeron caisson unique composé de deux semelles en pin réunies par des âmes en contre-plaqué, et de nervures en treillis de baguettes de spruce. Le bord d'attaque  est  coffré  en  contre-plaqué  jusqu'au longeron ;  le reste de l'aile est entoilé.  Les aérofreins du type Schempp-Hirth sortent à l'intrados et à l'extrados ; ils sont constitués de semelles en bois et de flasques perforés en contre-plaqué. Les ailerons à commandes différentielles sont réalisés  en deux parties ; ils sont protégés au sol par des cloisons de bout d'aile garnies de ferrures.


La voilure est composée d'un plan central fixé sur le treillis en tube du fuselage et deux plans extérieurs diédrés


La nervure d'extrémité du plan central montre le profil NACA 63821 semi laminaire et très épais (21%) et le système
complexe et peu pratique qui permet le vérouillage des plans extérieurs sur le plan central


Télécharger le modèle pour Flight Simulator

 Le Bijave vole...

 Le  prototype  du  Bijave,  immatriculé F-CCGO, fit son premier vol à Issoire le 17 décembre 1958 peu avant d'être confronté avec l'AV 22 et le Choucas. Après avoir été choisi, il dut subir en vue de certification un certain nombre de modifications ressortissant des observations réalisées par les pilotes d'essais du CEV. Le second prototype, qui rassemblait les modifications édictées pour le 01, fit son premier vol le 18 mars 1960. Jouant le rôle d'appareil de définition pour la série, il dut subir à nouveau un certain nombre de modifications mineures concernant la forme de la dérive qui devenait fléchée afin d'augmenter le bras de levier et l'adjonction de petites fenêtres triangulaires destinées à augmenter le champ de vision de l'instructeur vers le bas.


Le prototype F-CCGO du Wa 30 n'avait pratiquement pas de dérive mais était doté d'un  gouvernail de
direction de très grande dimension


Autre vue du prototype, on note également que la petite fenêtre triangulaire placée sous la verrière et destinée
à améliorer la visibilité vers le bas n'a pas encore été installée


Sur les modèles de série la dérive est de grande dimension et à forte flèche, le gouvernail de plus petite surface est
compensé statiquement et aérodynamiquement par un bec débordant

Quelques mois avant le début de la production en série et afin d'assurer la promotion commerciale du planeur, J.P.  Dumont, directeur de Wassmer, confia le 02 à Denise Trouillard pour une tentative de record féminin  d'altitude  en  biplace.   L'équipage Trouillard-Suchet  décolla  d'Issoire  le  11 décembre 1961 et s'éleva dans l'onde jusqu'à 8 571 m, battant simultanément les records de France d'altitude et le gain d'altitude (7256 m). Bien que conçu comme planeur d'école, le Bijave prouva une seconde fois ses bonnes performances en battant, avec l'équipage féminin Quéraud-Mehl, le record de France de vitesse (51 km/h) sur triangle de 300 km.*

L'équipage Suchet-Trouillard, Recordwoman de  France d'altitude et de gain d'altitude dans l'onde d'Issoire

Dès le début de la série, le succès du Bijave fut immédiat auprès des aéro-clubs qui pouvaient  enfin,  pour  un  prix  raisonnable compte tenu de la prime d'achat, remplacer les vieux biplaces conçus après guerre. Environ 280 Wa 30 furent construits entre 1958 et 1972. Les qualités de pilotage réunies sur le Bijave constituaient ce qu'à l'époque on pouvait espérer de mieux sur un planeur biplace : des commandes homogènes et dépourvues d'effets secondaires,  des réactions saines quelles que soient les configurations de vol. Malgré son aspect massif, il était pourvu de commandes fermes mais jamais lourdes : les ailerons et la direction,  efficaces à basse vitesse permettaient un décollage aisé et des spirales stables ;  la profondeur,  bien que pendulaire, ne présentait pas du fait de l'anti-tab de tendance à l'hypersensibilité. Les qualités  voilières  satisfaisantes  en  exploitation d'ascendances, s'avéraient un peu moins bonnes en pénétration à vitesse élevée (+ 120 km/h). Le décrochage et la vrille, annoncés par un violent buffeting, se récupèrent de façon conventionnelle et parfaitement démonstrative. Enfin, qualité rarement retrouvée sur les planeurs modernes,  les aérofreins sont d'une efficacité tout à fait remarquable ; cette propriété permet de réaliser des approches sous forte pente et des atterrissages très courts. 


La publicité de Wassmer vantant les qualités du Bijave  avec un argumentaire quelque peu mensonger. Si un Bijave a jamais atteint une finesse de 30, cela n'a pu arriver qu'avec un fort vent arrière. En fait on pouvait tabler au mieux sur une finesse de 25. Les mauvaises langues de l'époque disaient que le Bijave et le Blanik avaient la même finesse ! Mais le Blanik était en vol dos. En fait, Wassmer qui systématiquement gonflait outrageusement les performances de ses planeurs, apparaissait peu crédible  auprès de ses clients .


 «L'affaire »

 En fait et malgré ses qualités intrinsèques qui n'étaient pas à remettre en cause, le Bijave devait souffrir de manière endémique d'une conception insuffisamment approfondie qui devait finalement conduire à une série de tragédies.

 Le 5 avril 1964, le n° 51, en service au Centre National de la Montagne Noire, perdait en vol le plan extérieur droit. Séguy, le moniteur, et son élève se tuaient. Il apparut après enquête  que lors de descentes accélérées avec utilisation continue des aérofreins, les vibrations engendrées faisaient ressortir les axes de fixation des plans extérieurs sur le plan central de leurs logements. Des cales en bois, fixées sur la bande métallique recouvrant la jonction entre le plan central et  les  plans  extérieurs,  permirent  d'éviter  le déplacement des verrous.

Le 23 août 1968, à Aubenasson, le Wa 30  n° 50 était détruit par rupture en vol du plan central, puis le 29 octobre 1968 à Salon-de-Provence le même type d'accident se produisit sur le n° 148 occasionnant la mort de deux pilotes. On constata alors sur ces deux planeurs un affaiblissement de la semelle inférieure du longeron au niveau de la fixation des ferrures. La cause retenue fut une flexion anormale de l'aile vers le bas due probablement à des atterrissages durs. Ces accidents donnèrent lieu à la publication des bulletins de service 16, 16 bis et 20 concernant le renforcement du longeron et de la fixation des ferrures d'aile ; les travaux à effectuer étaient impératifs et à la charge des propriétaires.

Le 27 juillet 1970, le Wa 30 F-CDCX n° 163 de Besançon éclatait son plan central en cours de remorqué par suite d'une manœuvre violente. Le planeur était alors utilisé en monoplace par un jeune "laché". Il semble que l'accident ait suivi la séquence suivante : le jeune pilote, peu attentif à son pilotage, se laisse monter en position haute derrière le remorqueur qui commence a se trouver en difficulté, prenant conscience du danger impliqué par cette position derrière le remorqueur, le pilote pique si fortement qu'il rattrape le remorqueur au point de l'aborder,  il sort alors brutalement les aérofreins et le câble se retend si violemment qu'il se casse. Il est probable qu'à ce moment sous l'effet de l'inertie, les ailes aient subi une forte flexion dans leur plan qui a entraîné la rupture instantanée de l'aile droite au niveau de l'emplanture. L'imprudent pilote eut la chance de pouvoir s'éjecter et d'ouvrir son parachute à moins de 50 mètres du sol.

 


Jean-Luc Boutillon qui a commencé à pratiquer le vol à voile en 1968 au Centre de Jeunesse de Beynes témoigne de la journée du 17 août 1970 :
"Je suis le dernier élève vivant à avoir volé sur F-CCNO ..... En effet, ce jour là, après le déjeuner, notre instructeur Monsieur R… m'avait emmené pour un contrôle d'après lâché.  Nous avons volé 2 heures,  l'atmosphère était très turbulente .

Après m'être posé, l'élève suivant Jean O… a pris ma place. A peine 10 minutes plus tard alors que nous suivions les exercices d'autorotation de Jean nous avons vu l'aile casser. La hauteur à laquelle s'est produit l'accident était largement suffisante pour qu'ils aient le temps de sauter mais,  nous avons vu l'appareil descendre vers le sol en tournoyant assez lentement sans que rien ne se passe . Seul le parachute de M.R… s'est ouvert très bas . Par chance, il est tombé non sur le plateau de Beynes où se situe l'aérodrome mais dans le vallon attenant.

Quelques jours plus tard, alors que nous portions le cercueil de Jean, M. R… m'a raconté que Jeani avait paniqué et ne voulait pas sauter, R… l'a détaché et éjecté mais ils ont été séparés. En fait le corps de Jean a été retrouvé à proximité de l'épave, il est mort d'une fracture du crâne après avoir heurté un élément du planeur, la voilure de son parachute était enroulée autour de l'empennage horizontal . Jean  avait 17 ans…

Le destin sait parfois placer une touche de dérisoire dans la tragédie. Quelques jours auparavant le journal  de charme "LUI" était venu faire des photos (vous imaginez lesquelles) sur le  terrain de karting en contrebas de la piste. Tous les instructeurs y sont allés de leur passage à basse altitude, puis ils se sont rendus sur place à pieds et sont revenus avec des "têtes de chat" en papier (c'était le logo du journal LUI) .Le F-CCNO a été affublé d'une tête de chat sur le nez et c'est ainsi qu'il s'est crashé ..."


Photographié quelques jours avant l'accident, le F-CCNO du Centre de Jeunesse de Beynes a le nez décoré
d'une tête de chat
en papier fournie par les photographes de LUI

 

 Le 21 août 1970, le Secrétariat Général de l'Aviation Civile (SGAC) décida l'interdiction de vol pour tous les Bijave. La succession des  événements  tragiques  rapportés  ci-dessus faisait alors place à une période de controverses techniques qui pendant près de deux ans allaient devenir « l'Affaire des Bijave ». La décision d'interdiction frappait les aéro-clubs en plein déroulement des stages d'été ; ceux qui avaient conservé leurs vieux biplaces C 800 ou C 25S s'empressèrent de les remettre en service tandis que les autres furent obligés d'interrompre leurs activités d'école.  Pour tous ceux qui avaient vécu les interdictions de vol du Br 901, de l'Emouchet et de la Fauvette, le spectre de la catastrophe financière était présent sur tout l'horizon.


 Le 4 septembre, une nouvelle consigne de navigabilité fut éditée : elle autorisait le vol des planeurs dont le numéro de série était supérieur à 235, modifiait le domaine de navigabilité pour les autres (VNE = 153 km/h, vrilles  interdites),  maintenait  l'interdiction totale pour tous les appareils comptabilisant plus de 5 500 atterrissages. Cette solution transitoire était en fait une mesure d'apaisement destinée à permettre aux clubs de terminer une saison déjà bien compromise.
Durant l'hiver, les services techniques aéronautiques entreprirent, avec l'aide des ateliers  des  Centres  Nationaux et  du  Centre d'Essais Aéronautiques de Toulouse (CEAT), une enquête destinée à déterminer exactement les causes des accidents. Début février, les premières expertises concluaient à une défaillance de la semelle inférieure du longeron. A la lueur de ces informations, l'Armée de l'Air suspendit de vol tous ses Bijave et n'autorisa plus les membres des SMVV à les utiliser dans les clubs ; le SFA interdit également de vol ceux des Centres Nationaux. Début mars, la Fédération Française de Vol à Voile recommanda aux associations de suspendre l'utilisation des Bijave jusqu'à la conclusion des essais statiques en cours ; cette recommandation fut rendue impérative par le SGAC qui interdit à nouveau le Wa 30 de vol le  21  mai.  La  consternation  régnait  alors parmi les vélivoles qui, prévoyant une nouvelle saison désastreuse, commencèrent à porter leurs regards vers les biplaces de construction étrangère.

La décision du SGAC avait été prise en fonction des essais statiques réalisés au CEAT dont les conclusions étaient les suivantes :

1. mauvaise conception de la fixation des ferrures du plan central qui nécessitait le perçage de quatre trous dans une zone de la semelle inférieure du longeron particulièrement soumise à des contraintes élevées ;

2. phénomène de vieillissement et de fatigue accélérés du bois utilisé dans cette zône

3. répartition réelle des efforts entre les ferrures avant et arrière très différente de celle présentée dans le dossier de calcul fourni pour la certification. Cette révélation mettait en cause les services officiels qui n'avaient pas pris le soin d'effectuer tous les essais statiques nécessaires à vérifier le dossier de calcul

4. apparition d'un phénomène oscillatoire de l'aile dans son plan, induit (dans le cas d'atterrissages durs) par une flexion de l'aile vers l'avant non amortie par la barre de traînée calculée trop faible ;

5. qualité très irrégulière des bois utilisés pour la fabrication des longerons.

Au mois d'août 1971, une nouvelle campagne d'essais statiques fut entreprise au CEAT. Sur trois plans centraux de Wa 30 testés, deux avaient subi une modification proposée par Wassmer tandis que l'autre avait été modifié par le Centre National de la Montagne Noire. Aucune des solutions proposées ne fut satisfaisante en regard des normes exigées. Wassmer suggéra alors d'appliquer sa modification 18 qui consistait à remplacer la semelle inférieure en sapin par une semelle en frêne (modification apportée en série à partir du n° 236). Cette solution était délicate à réaliser puisqu'elle nécessitait pratiquement la reconstruction du plan central ; le coût (environ 5 000 F) et la réalisation de cette opération étaient bien entendu à la charge des propriétaires... Dans le souci de modérer l'impact financier sur les clubs, le SFA envisagea alors de subventionner la modification des 235 plans centraux concernés. Pour ce faire, les crédits seraient prélevés sur le budget attribué pour les primes d'achat de matériel neuf. En privant ainsi de primes les nombreux clubs qui auraient envisagé l'achat d'un planeur étranger, les services officiels étaient en mesure de continuer à jouer à fond la carte du protectionnisme (qui devait par la suite conduire à la disparition de la  construction  des  planeurs  en  France). Cependant la ponction budgétaire devait s'étendre également aux crédits alloués pour l'étude de prototypes nouveaux. Cette éventualité ne plaisait guère à Wassmer, qui en tant que principal destinataire, voyait d'un mauvais œil fuir vers les clubs des crédits qui subventionnaient  largement  son  activité. Finalement, cette solution qui ne satisfaisait personne fut rejetée, laissant " l'Affaire des Bijave " dans l'impasse. En définitive, c'est le groupe CAARP/AMC qui le 24 décembre 1971  apporta l'épilogue de l'épineux problème. Ce groupe, dirigé par Auguste Mudry, fort de l'expérience acquise grâce à la construction des LS 1, proposa de renforcer le plan central par des fibres de verre unidirectionnelles imprégnées de résine époxy disposées dans une rainure fraisée dans la semelle inférieure du longeron. Cette opération qui coûtait 7 000 F fut réalisée à Bernay à la cadence de 20 plans centraux par semaine ; elle permit à toute la flotte des Bijave de reprendre ses activités au printemps 1972.

Après deux ans d'incertitudes, d'inquiétudes et de tergiversations, « l'Affaire des Bijave » trouvait enfin son terme ; ses conséquences devaient cependant avoir une grande importance sur le devenir du vol à voile français. La première fut le dépôt de bilan de Wassmer qui survint en avril 1971 ; si l'Affaire n'en était pas la cause principale, elle y avait fortement contribué en déconsidérant aux yeux des dirigeants de clubs la firme auvergnate, incapable d'apporter une solu-tion convenable aux vices de conception du Bijave.

 

Les aéro-clubs avaient été fortement pénalisés dans leurs activités et leur trésorerie, car en plus de l'immobilisation et des frais de réparation des Bijave, le reste du parc et en particulier les planeurs d'entraînement subit le contrecoup de l'Affaire.  Devant l'indisponibilité d'un certain nombre de Wa 30,  les associations furent contraintes de lâcher directement leurs élèves sur monoplaces au lieu de le faire, comme les années précédentes, sur le planeur qui avait servi à l'école. Le corollaire en fut pour la saison 1971  une hécatombe de monoplaces d'entraînement : 48 furent accidentés et  12 entièrement détruits. Enfin, c'est en 1971 qu'un phénomène qui allait  devenir  irréversible  commença  à  se manifester : l'importation massive de planeurs  allemands.  Les  services  officiels n'avaient jusqu'alors accepté la certification de planeurs étrangers que dans la mesure où ceux-ci ne concurrençaient pas des matériels français  ou  étaient construits  sous  licence  en France. Pour justifier cette attitude, les services techniques pouvaient arguer de différences entre les normes françaises et allemandes (par exemple : type de peinture, de colle ou de crochet de remorquage, etc.) susceptibles de compromettre la sécurité de nos pilotes. Mais les faits dans leur tragique irréfutabilité avaient montré que, malgré les normes draconiennes, les planeurs français cassaient plus volontiers que leurs homologues allemands. Face à l'évidence et à l'impasse dans laquelle "l'Affaire des Bijave" se trouvait alors, ils convinrent que finalement l'ASK 13 pouvait  techniquement  constituer  une  très bonne solution de rechange. Les Bijave pour leur part et grâce à la modification Mudry ne firent plus parler d'eux et récupérèrent leur réputation  de  machine robuste et fiable qu'une erreur de conception leur avait fait perdre. Ils continuèrent encore longtemps, en compagnie des ASK 13 et M 200, à accomplir vaillamment leur laborieuse tâche de planeur école en attendant la relève des planeurs biplaces construits en plastique.

"Allo le 18, vous avez demandé les pompiers..."

Pendant l'été 1975 se déroulait sur le terrain de Besançon-Thise les  camps aéronautiques organisé par le SFA. Ces camps aéronautiques étaient des sortes de camps pour grands ados organisés par le Ministère des Transports sur un certain nombre de centres de vol à voile en France. Ils avaient pour but de réunir un groupe d'un dizaine de jeunes de moins de 25 ans venant de tous horizon qui vivaient sur le terrain et devaient en un mois obtenir leur brevet de pilote de planeur. On arrivait à la fin du stage et les "lâchers" se succédaient à grande cadence, les élèves volaient à présent tous en solo sur les trois Bijave qui formaient l'écurie du club dans le but d'effectuer leurs épreuves de durée du brevet voire même d'essayer de ramener une épreuve du brevet "D".

Parmi ces élèves l'un d'entre eux X s'était montré plutôt doué et avait été laché rapidement par son instructeur qui au demeurant s'inquiétait de son attitude suffisante et très assurée : c'était un "Monsieur je sais tout" et " vous les ploucs, vous allez voir ce que c'est un vrai pilote...". Le 9 septembre 1975, la météo est plutôt bonne pour cette fin d'été mais un front froid était annoncé en cours d'après midi. X décolle à 14h30  à bord du Bijave F-CDMO, pour tenter de réaliser son épreuve de durée de 2 heures après avoir écouté de manière agacée les recommandations de son  instructeur (il n'y avait pas de radio VHF à bord des planeur de club à l'époque).

A près le largage, X accroche et monte à 1200 m au dessus du terrain. Aussitôt, il met le cap à l'ouest et entreprend d'aller explorer les acendances au-dessus de la ville (ce qui était formellement interdit aux élèves). Petit à petit, d'une ascendance mal établie à une pompe "foireuse", le Bijave traverse la ville et se trouve maintenant à une dizaine de kilomètres du terrain mais séparé de celui-ci par la ville de Besançon. Tandis qu' un voile de cirrus commence à s'avancer, les ascendances commencent à mollir,  jettant un coup d'oeil vers l'arrière X s'apperçoit avec stupeur qu'il  voit  le terrain très loin et sous un angle très faible. Il constate que  son altimètre indique 500 mètres et se dit qu'il est peut être temps de rentrer au terrain, il quitte alors la bordure ouest  de Besançon où s'étalent de vastes prairies. X, sachant que le plus court chemin d'un point à un autre est la ligne droite, s'engage résolument cap à l'est au-dessus de la ville. Plus il avance plus son altitude baisse et X constate que les détails du  paysage qui défilent en dessous de lui sont beaucoup plus grands que ce qu'il a l'habitude de percevoir. Il réalise alors qu'il ne rentrera jamais au terrain et qu'il va bientôt se retrouver au sol, en plein milieu de la ville, ce qui s'avère prodigieusement dangereux. X comprend qu'il ne va pas effectuer un atterrissage mais un crash plus ou moins dirigé dans lequel son intégrité physique est en jeu. Paniqué, il fait de nouveau demi-tour et remet le cap à l'ouest en se rappelant les belles prairies qui auraient pu l'accueillir avant qu'il ne prenne la mauvaise décision de rentrer au terrain. Mais il n'est plus qu'à 100 m de hauteur au dessus de la place Leclerc et devant lui s'étale l'avenue Siffert, droite, large et déserte. X décide de se poser sur cette avenue providentielle, pique pour perdre son excès de hauteur et sort les aérofreins. Le problème c'est qu'en direction de l'ouest l'avenue Siffert descend assez fortement, et le Bijave efface un bonne partie de cette piste improvisée avant de pouvoir se poser. Après plusieurs rebonds, il roule jusqu'au bas de l'avenue avec encore beaucoup de vitesse et modifie d'un coup de palonnier sa trajectoire vers la droite pour éviter des gros arbres disposés en bouquet sur le carrefour situé à l'extrémité de l'avenue. Il remonte ensuite un petit bout de la rue de Dole et fauche avec les extrémités d'aile les arbustes plantés sur les trottoirs. Le Bijave termine sa course dans l'entrée du restaurant administratif,  juste en face de la caserne des pompiers, les ailes arrêtées par deux piliers de béton. Les premiers secours n'eurent qu'à traverser la rue pour être à pied d'oeuvre mais par miracle, alors que cette avenue est habituellement très fréquentée, il n'y avait aucune voiture ni aucun piéton en ce chaud début d'après midi .


Le F-CDMO encastré dans les pilier du restaurant administratif


Quelques instants après le crash, la circulation reprenait avec son intensité habituelle dans la rue de Dole
Il était donc écrit dans le Grand Livre de la Destiné que ce n'était pas un jour propice à
une catastrophe

Quand nous avons été prévenu de l'accident par la Police  nous demandant d'avertir le District Aéronautique de Dijon pour qu'il envoie un enquêteur, nous nous sommes tous regardé avec stupeur mais malgré tout ravis d'apprendre que les dégâts n'étaient que matériels. On en avait déjà vu des "bizarres" et des "tordues", mais celle là !..., "une vache en centre-ville", c'était une première. Pendant ce temps X, s'était remis de ses émotions et remotivé. Il était bien le meilleur puisque  qu'il avait parfaitement maîtrisé son sujet et s'était sorti de cette situation catastrophique sans dommages corporels. Quand le Président du Club est arrivé sur les lieux de l'accident, il a trouvé X en train de pérorer  et de jouer les vedettes devant les journalistes et les badauds attirés en nombre par cet événement exceptionnel. Dès le lendemain X fut réexpédié dans sa famille... On aurait pu lui pardonner sa faute de pilotage excusable pour un débutant et la destruction du planeur, mais pas son attitude irresponsable.


La trajectoire d'atterrissage du Bijave en pleine ville de Besançon, avec une
finale triomphante au-dessus de l'avenue Siffert entre les bâtiments de la
Chambre de Commerce et d'Industrie et les vestiges des arènes romaines.
On note que le Doubs, situé à proximité, aurait parfaitement convenu puisque
de toutes façons le planeur était voué à être endommagé. La solution aquatique
évitait les impacts frontaux était  moins risquée  pour le pilote et pour les tiers

Caractéristiques

envergure : 16.85 m
longueur : 9.5 m
surface alaire : 19.2 m2
allongement : 15
profil : NACA 63821/NACA 63415
dièdre : 4.5°
flèche : 0°
masse à vide : 300 kg
masse maximale : 550 kg
charge alaire : 28.5 kg/m2
vitesse maximale VNE : 200 km/h
vitesse de décrochage : 58 km/h
vitesse de chute minimale : 0.8 m/s à 75 km/h
finesse maximale : 27 à 85 km/h


 
 

Retour à la page précédente