Page d'accueil du site| Home page


Les sorciers de la Rhön
par Richard Ferrière

1919 - Les Alliés fêtaient la victoire et la fin de l'effroyable boucherie commencée en 1914 en imposant aux vaincus un mauvais traité de paix. C'était  la dernière des guerres , la "der des der" comme on se plaisait à le dire à l’époque. L'Europe occidentale venait de sortir du XIXe siècle et entamait la fin du deuxième millénaire avec une soif de vivre et un enthousiasme débordant.

L'Allemagne sortait de l'épreuve hébétée : la défaite était incompréhensible, le traité de Versailles injuste, l'occupation de certains territoires odieuse. L'Empire s'était effondré en laissant le pays décimé et ruiné mais sans destructions ; la République de Weimar reprenait une succession qui allait s'avérer difficile.

L'effort de guerre avait fait faire aux sciences et aux techniques un bond en avant extraordinaire. L'aviation était passée en quatre ans d'une phase expérimentale balbutiante à une technique bien rodée appliquée efficacement au combat. Mais qu'était-il advenu des recherches sur le vol à voile

Les expériences de vol plané de Lilienthal, Chanute, Pilcher, Montgomery étaient bien loin ; les frères Wright qui avaient réussi en septembre 1911 un vol de pente de 9'45" sur les dunes de Kitty Hawk avaient rapidement abandonné le vol à voile pour le vol motorisé. Seuls Frederik Harth et Hans Gutermuth avaient poursuivis des études sur la construction de planeurs destinés à explorer le vol à voile dynamique sans jamais d'ailleurs  réussir  à  améliorer  le record d'Orville Wright. La guerre avait rendu ces recherches bien désuètes et beaucoup de leur protagonistes avaient trouvé la mort durant le conflit.

Bien que de nombreuses observations concernant les mouvements de l'atmosphère aient été rapportées par des équipages militaires (Dorand, Grasset, Laffond, Milkov..,), l'application des théories sur le vol à voile humain développées au début du siècle apparaissaient à beaucoup, alors que l'aviation motorisée entrait dans une phase de maturité, comme une douce rêverie pour scientifiques idéalistes.

En Allemagne la situation était quelque peu différente. Ce pays qui avait déjà avant la guerre une tradition de recherches universitaires sur le vol à voile, se voyait imposé par le traité  de  Versailles  l'interdiction d'étudier et de construire des avions. C'est donc tout naturellement vers le vol à voile que se tournèrent les efforts de ceux qui avaient la passion du vol. En janvier 1919, le Professeur Oskar Ursinus lançait par l'intermédiaire de la revue Flugsport qu'il dirigeait un appel aux amateurs et aux techniciens pour reprendre l'activité interrompue en 1914. Rendez-vous était donné à tous en juillet 1920 à la Wasserkuppe. Ce lieu d'expérimentation, situé dans le massif de la Rhön, avait été choisi par l'Akaflieg de Darmstadt en 1909 pour essayer ses planeurs.

Le chaudron d'Aachen

En 1919, Wolfgang Klemperer, originaire de la minorité germanophone du royaume de Bohème (Tchèquie), ingénieur en mécanique des fluides et ex-lieutenant de l'aviation de l'Empire Austro-Hongrois, était muté de Dresde à l'école supérieure technique d'Aachen comme assistant dans le laboratoire dirigé par le Professeur von Karman. Klemperer fut dès son arrivée chargé d'animer la Flugwissenschaftlische  Vereinigung  Aachen(FVA) : association pour le développement des connaissances sur le vol d'Aachen( Aix-la-Chapelle), qui s'était constituée depuis quelques années autour de Paul Stock et Karl Fromm. Les étudiants d'Aachen qui brûlaient d'envie de participer au premier concours de la Wasserkuppe n'avaient pas réussi à définir un projet cohérent. Sollicité pour proposer un sujet d'étude, Klemperer hésita devant les délais très courts qui séparait du début des épreuves puis céda sous la pression et l'enthousiasme des étudiants. Le projet de planeur qu'il conçut alors était tout à fait original et se différenciait totalement des conceptions généralement admises par la petite communauté des planeuristes de l'époque.


Photo officielle du lieutenant Wolfgang Klemperer

Trois écoles se confrontaient alors :
- l'une recherchait le vol à voile dynamique au moyen de planeurs de type Chanute, souvent biplans, pilotés par déplacement du corps par rapport au centre de gravité de la machine ; l'atterrissage et le décollage se faisait à la course ;
- l'autre visait à mettre en évidence l'hypothétique structure pulsative du vent que l'on pensait être à l'origine du vol à voile des grands oiseaux marins. Les planeurs construits pour vérifier ces théories présentaient des formes proches de celles des oiseaux. Les voilures étaient dotées de profils à forte cambrure et présentaient une très grande souplesse de façon à absorber au mieux l'énergie de la rafale. Cette approche du vol à voile rencontra beaucoup d'adeptes. Elle se traduisit par la construction de planeurs très complexes et particulièrement fragiles qui, sans jamais démontrer que l'on pouvait exploiter les vents horizontaux, contribua à discréditer les pionniers du vol à voile aux yeux du milieu aéronautique ;
- la troisième voie dans laquelle s'inscrivait le projet de Klemperer ne recrutait encore que peu d'adeptes. Elle avait pour objet de réaliser un vol à voile dynamique au moyen de planeurs à gouvernes aérodynamiques. La conception générale se rapprochait de celle de l'avion, l'objectif était plus d'atteindre une finesse élevée qu'un taux de chute faible.
 

FVA 1 "Schwarze Teufel"

Le planeur que dessine Klemperer s'appuie sur des théories développées par le Professeur Hugo Junkers et précédemment appliquées sur les premiers avions entièrement métalliques. Elles se fondent essentiellement sur l'emploi d'une voilure monoplane cantilever utilisant un profil très épais à l'intérieur duquel sont placés tous les renforts nécessaires à la rigidification de l'aile à l'exclusion des mâts, haubans et autres tendeurs usuellement utilisés à l'époque. Une recherche particulière est également réalisée dans le but de réduire la traînée des éléments ne contribuant pas à la portance : leurs surfaces sont réduites au minimum et entoilées afin de profiler au mieux l'ensemble.

Le planeur a une envergure de 9,5 m, 5,5 m de longueur et pèse à vide 62 kg pour une surface alaire dé 15m2. La structure, construite en bois, est réalisée en deux parties démontables :
- l'une comprend la voilure, le poste de pilotage, le nez du fuselage et le train d'atterrissage ;
- l'autre rassemble la partie arrière du fuselage et les empennages. L'assemblage des deux éléments se fait au niveau du cadre de fuselage situé au bord de fuite de l'aile.

L'aile présente en plan une forme trapézoïdale et en section un profil à intrados plat de 22 % d'épaisseur relative dont l'étude avait été réalisée à la soufflerie Prandl à Göttingen. Elle est construire autour de trois longerons dont les semelles en T sont réunies par un treillis de baguettes. Les nervures également construites en treillis sont enfilées et collées sur les longerons, la rigidification en torsion est assurée par des bandes de toile collées en diagonale. Le bord d'attaque est revêtu de carton tandis que le bord de fuite est constitué d'une corde à piano réunissant les queues de nervure. L'excellente résistance en flexion et en torsion est obtenue en multipliant les croisillons, goussets et renforts de petite section ; la complexité de réalisation qui en résulte trouve une contrepartie par le gain de poids réalisé par rapport à une construction classique de même résistance structurale. Ainsi, le longeron principal, testé au coefficient 5,ne pèse que 7,5 kg ; l'ensemble des nervures : 3,7 kg et chaque aileron :870 g ; l'aile terminée ne pèse que 24 kg pour 15m2 de surface.


L'aile du Schwarze Teufel en construction dans les ateliers du FVA

Le poste de pilotage est profilé par une structure légère entoilée et le siège du pilote est fixé sur le longeron principal. Les commandes sont disposées de manière classique et attaquent les gouvernes par des câbles d'acier. Le train d'atterrissage comporte deux jambes soigneusement profilées portant à leurs extrémités des patins en frêne. A l'arrière des pantalons des jambes de train, deux ergots d'acier permettent l'accrochage du sandow utilisé pour le décollage.


Le nez les ailes et les trains d'atterrissage sont solidaires entre eux et compose la partie avant de l'appareil, la queue du fuselage et les empennages forment la partie arrière démontable pour le transport

L'entoilage du planeur est réalisé au moyen d'un voile noir très fin(90 g/m2) imperméabilisé au collodion. Cette toile avait été obtenue grâce aux tendres rapports qu'entretenait un étudiant avec la fille d'un filateur d'Aachen. La couleur de l'entoilage et l'aspect de saurien antédiluvien du FVA 1 furent à l'origine de son nom de baptême : " Schwarze Teufel " = diable noir.

Bénéficiant de l'appui de von Karman, la construction commença en décembre 1919 dans une veine désaffectée de la soufflerie du laboratoire d'aérodynamique. A cette époque, Aachen se situait en zone d'occupation belge et toute construction d'avion y était interdite. L'école technique était sous la surveillance d'une commission de contrôle et la mise en chantier commença de façon clandestine sous prétexte d'études en soufflerie de modèles aérodynamiques. Au fur et à mesure que le travail avançait et que les éléments devenaient reconnaissables, la commission de contrôle se montrait plus suspicieuse et multipliait les inspections surprises. Klemperer avait de plus en plus de mal à convaincre les Belges qu'il ne s'agissait que d'études aérodynamiques. La fin du mois d'août 1920 arrivait et il devenait urgent d'acheminer le Diable Noir à la Wasserkuppe où les épreuves du concours se déroulaient depuis le 15 juillet. Par bonheur, le mauvais temps qui régnait sur l'Europe en cet été 1920 avait amené Ursinus à prolonger les épreuves jusqu'au 7 septembre.


Le Schwarze Teufel avant son départ pour la Wasserkuppe, Klemperer (avec le chapeau) et Terkatz sont derrière le planeur

Le transport de tout aéronef étant interdit, le voyage du planeur, depuis Aachen jusqu'à la Rhön (250 km), à travers les zones d'occupation belge, anglaise et française, fut organisé comme une expédition de commando. La première étape consistait à transporter le Diable Noir en camion de l'école à une petite gare de marchandises en essayant d'éviter les contrôles routiers des alliés. Dès la nuit tombée, le camion quitta la ville par des petites routes en principe peu surveillées mais, après quelques kilomètres, le convoi rencontra une colonne de camions transportant des troupes. Avec beaucoup de sang-froid, les étudiants s'intégrèrent discrètement au convoi militaire et franchirent sans problème plusieurs barrages pour enfin, à la faveur de l'obscurité, s'éclipser vers la gare où le planeur fut chargé sur un wagon plateau et recouvert d'une bâche. Péter Terkatz, qui était chargé d'accompagner le planeur jusqu'à destination, avait naïvement emporté avec lui des cartouches de cigarettes et des boîtes de cigares afin de soudoyer ceux qui pourraient s'opposer à la conduite à bien de l'opération. En se renseignant auprès du chef de train, Terkatz s'aperçut que le contrôle du chargement serait fait à Cologne par les Anglais. Ceux-ci se basaient sur les bordereaux d'expédition des marchandises que devait présenter le chef de train pour exercer des contrôles par sondage. Comme le chef de train était incorruptible, Terkatz fut contraint de subtiliser le bordereau relatif au Diable Noir. Par chance, personne ne s'aperçut de la supercherie et le planeur arriva à Gersfeld (en zone non occupée) sans encombre le 3 septembre et fut acheminé à la Wasserkuppe pour y être remonté.

La coupe à la Wasserkuppe

Lorsque l'équipe d'Aachen composée de Wolfgang Klemperer, Paul Stock, Theodor Bienen, Karl Fromm, Fritz Heffels, Péter Terkatz et Kurt Weil arrive à la Wasserkuppe, le bilan n'est guère brillant. Tout d'abord, le temps est épouvantable et les journées volables rares depuis le 15 juillet ; Ursinus a prolongé le concours mais personne n'y croit plus. Les résultats sont également affligeants : le meilleur vol a été réalisé par Willy Peizner qui n'a réussi qu'une glissade de 452 m en 52 secondes.

L'arrivée de l'équipe d'Aachen et surtout celle de leur machine tout à fait originale provoque un regain d'intérêt. Le 4 septembre, Klemperer et le Diable Noir sont en piste et décollent à l'aide d'un tout nouveau dispositif qui émerveille les participants : le sandow. A l'époque, les lancers se faisaient essentiellement à la course (comme en deltaplane aujourd'hui) ou, lorsque le planeur était trop lourd, avec l'aide d'assistants qui chargeaient le planeur sur leurs épaules et courraient sur la pente jusqu'à ce que la sustentation nécessaire au vol soit acquise. Compte tenu de la configuration et du poids de leur machine, l'équipe d'Aachen avait mis au point un système de lancement par catapultage utilisant du câble élastique employé pour réaliser les amortisseurs sur les trains d'atterrissage d'avions. Le câble déroulé en V devant le planeur, venait se prendre sur les deux ergots fixés à l'arrière des jambes de train. Deux aides maintenaient fermement l'étambot tandis qu'à l'extrémité de chaque brin 4 hommes se mettaient à courir pour tendre le sandow ; quand le pilote jugeait la tension suffisante, il criait " los " (lâchez !) à l'intention des aides placés à l'étambot et le planeur partait, catapulté dans la pente. Le 4 septembre donc, Klemperer réalise deux petits vols de 315 et 362 m qui sont les premiers vols du Diable Noir ; il apparaît que le planeur est légèrement centré arrière et que la direction a une efficacité insuffisante, en dehors de cela, le comportement et la maniabilité sont excellents. Le troisième vol est réalisé sur la pente ouest et dure 2'22" ; la trajectoire est très tendue et stable, le planeur qui exploite sans aucun doute possible l'effet de pente se pose à 1 852 m de son point de départ. Le record de la Wasserkuppe est largement battu.


Le lancer au sandow constituait une innovation

Les 5 et 6 septembre, le vent est trop fort pour pouvoir voler. Klemperer fait bien une tentative mais endommage le train d'atterrissage qui est aussitôt réparé.

Le 7 septembre, dernier jour du concours, le soleil réapparaît mais le vent souffle toujours très fort (15-18 m/s).  Klemperer décolle et sous l'effet de pente se retrouve à 10 m au-dessus de son point de départ, il se pose 1'15" plus tard à 220 m du point de décollage. Après qu'Heffels ait réalisé un vol de 24 s, Klemperer entreprend de lâcher Kurt Weil sur le Diable Noir. Weil, qui avait été pilote de bombardier pendant la guerre, était celui qui, dans l'équipe d'Aachen,  avait la plus grande expérience aéronautique. Au demeurant, Klemperer lui conseille, compte tenu de sa petite taille et de son faible poids, de se tenir très en avant sur son siège et de faire attention à ne pas se laisser partir en arrière sous l'effet de l'inertie lors du départ au sandow. Visiblement agacé par les recommandations de Klemperer, Weil l'écoute d'une oreille distraite. Lors du lancement, Weil est projeté en arrière contre le dossier et visiblement s'accroche au manche ; le Diable Noir, centré arrière et la profondeur à plein cabré, fait une superbe chandelle, décroche et se plante sur le nez. On assiste alors à un spectacle ahurissant, alors que tout le monde court pour lui porter secours, Weil se dégage péniblement des débris du planeur, l'air hébété, puis se met à courir à toutes jambes jusqu'au camp de toile où il hèle une voiture qui redescend à Gersfeld. Il prit le premier train pour Aachen et ne revint jamais à la Wasserkuppe.

Le vol de l'aigle

Le retentissement du concours de 1920 avait été important dans le milieu aéronautique allemand dans la mesure où il avait montré que le vol à voile n'était pas une absurdité et qu'il n'était pas lié à la réalisation de machines présentant une configuration  copiant  la  morphologie  des oiseaux. Aachen avait surtout montré qu'une machine d'une conception proche de celle d'un avion, relativement lourde et dotée de gouvernes aérodynamiques, paraissait la solution la plus fiable et la plus sûre pourexplorer les mouvements encore très mystérieux de la masse d'air. C'est ainsi  que sur 14 planeurs engagés la Wasserkuppe 1921, 5 étaient des planeurs à ailes rigides et gouvernes aérodynamiques : le monoplan de l'Akaflieg de Munich (11 m d'envergure) ; l'aile volante Weltensegler de Frederik Wenk (16m d'envergure) ; les Schwarze Teufel et Blaue Maus d'Aachen (9,5 m d'envergure) et le Vampyr de l'Akaflieg de Hanovre(12,6 m d'envergure).

Le concours qui débute le 10 août 1921 est doté d'un premier prix de 30 000 marks pour celui qui réussira un vol de 5' et se posera à une altitude inférieure de moins de 50 m à celle du lieu de décollage. D'autres prix récompensent la plus grande distance et la plus grande durée.

L'équipe d'Aachen se présente cette année-là avec deux planeurs :
- le Schwarze Teufel qui a été réparé après l'accident de Weil et qui sera piloté par Karl  Fromm et Théo Bienen ;
- le Blaue Maus (souris bleue) qui sera piloté par Wolfgang Klemperer. La Souris Bleue, qui était en fait entoilée en blanc, était une version améliorée et allégée du Diable Noir ...


Le Blaue Maus en cours de finition, on remarque au premier plan l'aile du Schwarze Teufel


La partie avant du Schwarze Teufel montre les réparations appliquées après le concours de 1920


Contrairement à 1920, l'été 21 est très chaud dans la Rhön et donne lieu à des situations de marais barométrique s'escamotant parfois pour laisser le passage à un front orageux. A cette époque où le vol à voile thermique est encore inconnu, le fait de ne disposer que de vents faibles est considéré comme particulièrement défavorable. Quelques vols sont cependant réalisés sur la pente sud-est avec des résultats peu convaincants.Voir sur un film d'archives (0.9Mo) un décollage au sandow du Blaue Maus
 
 

Subitement, le 14 août, la situation météo change et un front orageux s'avance sur la Rhön avec son cortège de grains et de turbulences. Toujours obnubilée par la vitesse du vent qu'elle juge encore trop faible, l'équipe d'Aachen renonce à voler. Wilheim Leusch, qui pilote l'aile volante Weltensegler, est par contre l'un des premiers au départ. Sitôt après le décollage effectué sur les épaules de trois porteurs, Leusch s'élève face au vent en direction de la plaine. A 1 km de son point de départ, le Weltensegler a déjà gagné 400 m d'altitude et commence à se faire aspirer par les congestus. Voulant éviter de rentrer dans le nuage, Leusch part en virage serré par la droite. Sous l'effet du facteur de charge et de la turbulence, les ailes se replient. Le Weltensegler va s'écraser au pied de la Wasserkuppe en tuant son pilote. Leusch a réalisé pour la première fois la transition entre le vol de pente et l'ascendance thermique mais aucun de ceux qui assistent à l'exploit et au drame n'ont compris ce qui s'était effectivement passé.

Le concours se poursuit sans que des résultats intéressants ne soient atteints. Par ailleurs, la supériorité d'Aachen, qui avait été totale en 1920, est fortement contestée par le planeur de Munich et surtout par le Vampyr d'Hanovre. L'absence de vents forts pénalise le Schwarze Teufel et le Blaue Maus qui sont handicapés par leur vitesse de chute mini trop élevée.

Le 25 août, le concours se termine : la distance est remportée par Köller (Munich) devant Klemperer (Aachen) et la durée revient à Martens (Hanovre) mais le Grand Prix n'est pas décerné. Le record d'Orville Wright de 1911 tient toujours.

Les équipes de Hanovre et Aachen décident cependant de rester sur place dans l'attente de conditions favorables. Celles-ci sont réunies le 30 août, lorsqu'un front venant du nord-ouest aborde la Rhön. Klemperer fait transporter le Blaue Maus au rocher von Loessl sur la pente ouest et décolle en début d'après-midi alors que les premiers nuages commencent à accrocher les sommets de la Rhön.


Décollage du Blaue Maus depuis le pentes de la Wasserkuppe en direction de la vallée de la Fulda

Aussitôt Klemperer trouve l'ascendance de pente et monte en quelques minutes à 100 m au-dessus de son point de départ. L'orage arrivant sur la Wasserkuppe, il décide de quitter la pente et met le cap sur la vallée. Alors qu'il s'est déjà éloigné du relief, le planeur entre, à la grande surprise du pilote, dans une zone ascendante que Klemperer soupçonne immédiatement d'être d'origine thermique. Après quelques virages d'exploration, le Blaue Maus a repris toute l'altitude perdue pendant la transition ; de nouveau, cap est mis sur Gersfeld alors que les premiers éclairs manifestent la présence toute proche de l'orage.


Klemperer qui a repris de l'altitude en vol de pente se dirige vers Gersfeld

Klemperer ignore encore l'existence des ascendances de front d'orage mais l'accident de Leusch le rend méfiant et il préfère s'éloigner de la zone turbulente. 10 minutes viennent de s'écouler depuis le décollage et le planeur croise vers le sud par le travers de l'Eube, lorsque, à la verticale de Guntersberg, le Blaue Maus est de nouveau dans uneascendance. Aussitôt le pilote enchaîne une série de virages pour essayer de se maintenir dans la partie montante et constate bientôt qu'il a repris son altitude de départ Devant lui s'étale la vallée de la Fulda mais au-delà de Gersfeld, de gros nuages gris traînent sous eux un rideau de pluie. Klemperer se rend immédiatement compte que l'entoilage ne supportera pas la pluie battante et prend la décision de se poser dès qu'un endroit favorable se présentera. A cet instant, le planeur est encore suffisamment haut et il peut se rendre compte par sa dérive et par le mouvement de la cime des arbres que le vent de nord-ouest s'est renforcé : il devient impérieux de trouver un terrain d'atterrissage orienté dans l'axe du vent. Une petite prairie accueillante, située entre Gersfeld et Maiesbach, est choisie mais l'atterrissage est quelque peu cahotique car le terrain est passablement bosselé ce qui n'était pas apparu en altitude Sitôt posé, le Blaue Maus est entouré d'une foule de paysans accourus des champs alentours. Quelques minutes plus tard, Peter Terkatz arrive hors d'haleine ; sans mot dire, il serre la main de Klemperer puis s'effondre épuisé devant le planeur. Il avait suivi le vol à la course... 5 km parcourus en 13 minutes.


Klemperer pose devant son planeur au milieu des paysans et des enfants accourus pour voir le curieux oiseau

Ce qui peut nous paraître aujourd'hui comme une performance ridicule fut perçu en 1921 comme un événement considérable. Certes le record d'Orville Wright était battu mais plus encore un planeur avait quitté la pente, exploité des courants ascendants d'une nature encore mystérieuse, et s'était posé loin de son point de départ. Le 5 septembre, Martens rééditait à bord du Vampyr un vol de même nature et parcourait une distance de 7,5 km en 15 minutes.


Klemperer félicité par Anthony Fokker qui participait au concours sur un planeur biplan de sa conception
 
 
 


La trajectoire du vol record de Klemperer

C'était la fin du mythe d'Icare, le vol à voile humain était devenu une réalité.