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Le Cessna Bobcat
                                                          Par Richard FERRIERE

Avion de servitude et d'entraînement, le Bobcat n'a pas laissé dans l'Histoire de l'Aviation un nom bien prestigieux. Cependant ce petit bimoteur qui a formé la plupart des pilotes de bombardiers britanniques a joué un rôle obscur mais important dans l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Il est par ailleurs le premier appareil vraiment original de la firme Cessna et celui qui allait lui permettre de faire des bénéfices commerciaux importants. Ces bénéfices réinvestis dans la construction et l'équipement d'une usine de 9000m2 devaient fournir à Cessna les outils de production nécessaires pour devenir dans l'immédiate après-guerre l'un des leaders mondiaux de l'aviation légère et de l'aviation d'affaire

Un peu d'Histoire...

La carrière aéronautique de Clyde Cessna a commencé dans le mouvement des pionniers de l'aviation. Constructeur et pilote, il gagna sa vie pendant une dizaine d'années en faisant des démonstrations et des meetings alors que l'aviation balbutiante attirait les foules avides de sensations fortes. Après l'Armistice de 1918, les progrès de l'aéronautique étaient tels que l'avion n'était plus réellement une aventure, il était devenu un véritable moyen de transport et une activité de loisir dans un pays de dimensions gigantesques et relativement sous-équipe en matières de routes et voies ferrées. Clyde Cessna intègre alors la société Travel Air qui avec Bellanca, Waco, Stinson, Aeronca, Ryan ... produisent des appareils de sport et de grand tourisme qui rencontrent un vif succès commercial. Au moment de la grande dépression de 1929, la société Travel Air qui est en proie à des difficultés économiques.  Clyde Cessna qui est en déaccord avec Walter Beech se met à son propre compte et fonde  la Cessna Aircraft Company. La jeune firme Cessna continue pendant quelques temps la production des modèles dérivés des Travel Air mais entreprend en 1937 l'étude d'un nouveau modèle baptisé T50 qui rompt avec la tradition Travel Air. A cette époque les Etats Unis qui avait été brutalement et profondément frappés par la Grande Crise Economique de 1929, avaient déjà surmonté la récession, repris leur dynamisme industriel et le cycle de la croissance. L'appareil que propose Cessna est une machine résolument moderne qui est destinée à occuper le créneau du grand tourisme, de l'avion taxi et du petit transport ; c'est un petit bimoteur moderne offrant 5 places et susceptible de franchir plus de 1200 km avec une vitesse de croisière supérieure à 250 km/h. Le prototype du T50 immatriculé NC 20784 effectue son premier vol piloté par Dwane Wallace le 26 mars 1939 et confirme tous les espoirs mis en lui. Après que quelques modifications mineures aient été réalisées, le T50 reçoit sa certification en décembre 1939 et est mis en production pour répondre aux commandes civiles.

Le prototypre du Bobcat

70 appareils, vendus 29675$ pièce sont mis en circulation (principalement aux Etats Unis et au Canada), entre la fin de l'année 39 et l'entrée des Etats Unis dans le Seconde Guerre Mondiale (décembre 1941). La clientèle se partage alors entre le marché civil (37 appareils) et un marché de 800000$ signé le 19 juillet 1940 par Louis Johnson, Secrétaire d'Etat Adjoint à la Guerre, pour l'achat de 33 appareils destinés à l'US Army Air Corps. Le T50, rebaptisé AT 8 Bobcat (lynx rufus, chat sauvage) est livré à l 'USAAC à partir de décembre 1940 et est utilisé comme avion d'entraînement avancé (AT= Advanced Traîner) pour la formation des pilotes de multimoteurs, des navigateurs et des radios.


Le Cessna UC 78 fut utilisé pendant toute la guerre dans l'USAAF puis dans l'USAF comme avion de liaison et de transport léger est équipé des hélices Hamilton-Standard à vitesse constante et pas variable. Il est ici décoré suivant le schéma classique adopté dans l'aviation américaine avec des surfaces supérieures vert olive foncé (olive drab) et des surfaces inférieures gris moyen (médium grey). Les cocardes sont du type utilisé dans la dernière partie de la guerre, elles sont disposées sur les flancs du fuselage, à l'extrados de l'aile gauche et à l'intrados de l'aile droite. (Photo U.S. Air Force)

L'entrée en guerre en septembre 1939 de la Grande Bretagne et des pays du Commonwealtn devait avoir une forte inflexion sur la carrière du Bobcat. En effet, le 17 décembre 1939 est signé à Ottawa le British Commonweaith Air Training Plan (BCATP). Ce traité qui associe le Royaume Unis de Grande Bretagne le Canada, la Nouvelle Zélande et l'Australie place les écoles de formation des pilotes du Commonweaith sous le commandement de la Royal Canadian Air Force. L'objectif de ce traite est pour les Britanniques de placer les centres d'entraînement, vitaux pour le remplacement des pertes et l'augmentation des effectifs, hors  de la vulnérabilité des théâtres d'opérations. Il s'agit également d'assurer une formation homogène aux pilotes et équipages des pays du Commonweaith vont être amenés à combattre ensemble et sur des matériels identiques. D'un point de vue politique ce traite devait avoir une influence importante dans la mesure où, d'un point de vue militaire, le Canada quittait sa position de dominion (colonie) pour devenir une armée alliée à part entière. La RCAF dépendait a présent du gouvernement canadien et n'était plus intégrée à la RAF comme cela avait été le cas lors du premier conflit mondial, la majorité des pilotes canadiens formés dans le cadre du BCATP devraient être affectés à des squadrons de la RCAF qui combattraient aux côtés de la RAF. L'application de ce traité a constitué, d'un point de vue stratégique, l'une des contributions majeures du Canada à la victoire finale. En 1943,  97 écoles de pilotage et 184 établissements auxiliaires de formation des équipages et des personnels au sol étaient placés sous le commandement de la RCAF. De 1942 à 1945 le Canada a formé 137000 équipages, 72000 canadiens passèrent par ces écoles et rejoignirent les squadrons de la RCAF, 17000 d'entre eux furent tués au combat. En vue d'équiper les écoles du BCATP spécialisées dans la formation des pilotes d'avions multimoteurs, la RCAF entreprend alors de prospecter son voisin américain encore en dehors du conflit. Le choix des canadiens se portent sur le Cessna T50 qui est rebaptisé Crane (grue). Un total de 826 Crane Mk 1 et Mk 1A seront incorporés dans l'armée canadienne.

Le Cessna Crane 1A du Canadian Warplane Héritage est maintenu en état de vol et présenté dans les meetings en hommages aux équipages de la RCAF qui ont combattu pendant la seconde Guerre Mondiale. On remarque au second plan l'Avro Anson de la collection canadienne.
(Photo Canadian Warplane Héritage avec la courtoisie de http://warplane.com)

Parallèlement, l'USAAF qui succède à l'USAAC et qui deviendra l'USAF, s'intéresse au bimoteur Cessna. L'aviation américaine fera pendant la durée du conflit l'acquisition d'environ 1800 appareils sous les désignations de AT 17 pour l'entraînement des équipages de transport et de bombardement et de UC 78 (UC=Utility Cargo) comme avion de liaison et de transport léger. Pour ne pas être en reste l'US Navy fera l'acquisition de 67 UC 78 qui furent rebaptisés JRC 1.
 



Le Cessna AT 17 Bobcat fut utilisé dans les écoles de pilotage de l'USAAF pour la formation des équipages de multimoteurs. L'appareil représenté sur la photo est équipé des hélices Hartzell en bois à pas fixe. La peinture aluminium est en fait le vernis anti ultra-violet destiné à protéger la toile, le bois et les collages des agressions du rayonnement solaire. Les panneaux anti-éblouissement noir ou gris foncé sont peints sur le nez et les capots moteurs. Les cocardes américaines à centre rouge encore utilisées au tout début de la guerre sont peintes à l'intrados et à l'extrados des deux ailes. La gouverne de direction est blanche avec une bande verticale bleue et des bandes horizontales rouges.(Photo U.S. Air Force)


Le Cessna JRC1 est en fait un Bobcat AT 17 utilisé par la marine dans des fonctions d'entraînement et de liaison. (Photo U.S. Navy)

Comme ce fut le cas pour beaucoup d'appareils alliés, nombre d'entre eux furent, en particulier vers la fin de la guerre, construits pour pourvoir au reéquipement des différentes armées alliées qui se reconstituaient. Ainsi, l'Armée de l'Air reçut en 1944 73 AT 17 et UC 78 qui restèrent en service jusqu'en 1953. A partir de 1949, les AT 17, UC 78, de l'USAF furent versés aux surplus militaires et revendus à des utilisateurs civils et militaires qui l'utilisèrent sous tous les deux du monde. La production totale du Bobcat s'élève à 5402 appareils dont 5376 en version militaire avec un prix moyen de vente de l'ordre de 31000$ l'unité.

Le Bobcat, souvent affecté des sobriquets de "Bamboo Bomber" (en référence à son mode de construction), "Double Breasted Cub" (en référence aux deux moteurs) ou encore de "Brass Hat" (en référence à la couleur des avions d'entraînement) est l'un de ces avions sans histoires et ignorés de l'Histoire qui eut un rôle primordial dans le déroulement la Deuxième Guerre dans la mesure où il assura la formation des pilotes de bombardiers qui écrasèrent le IIIème Reich. Un certain nombre de Bobcat ou de Crane subsistent encore aujourd'hui tant en exposition statique dans différents musées qu'en état de vol au Etats Unis et au Canada. Le Cessna Crane 1A, représenté sur le plan 3 vues fut construit en 1942 avec le sériai 1355 et le numéro d'escadron 7862, il vola au sein de la RCAF jusqu'en 1946 puis fut exploité au Québec par Matane Air Service avec l'immatriculation civile C-FFGF. Revendu à un particulier il fut donné en 1976 au Canadian Warplane Héritage qui a assuré sa restauration et le présente en vol dans les différentes manifestations consacrées aux Warplanes, en hommages aux équipages des bombardiers des armées du Commonwealth. En France, le Cessna UC 78 Bobcat serial 5253 a été récupéré par le GPPA d'Angers, qui assure en France, une bonne partie de la restauration et du maintien en état de vol du patrimoine aéronautique. Sa restauration en vue d'une remise en état de vol avance à grand pas grace à la compétence des équipes techniques du Musée d'Angers 

Description du Bobcat

Le fuselage du Bobcat est constitué d'une structure triangulée de section rectangulaire réalisée en tubes d'acier soudés. Cette structure est habillée de faux couples en contre-plaqué et de lisses en spruce qui adoucisse la section du fuselage. Le nez est composé d'une casserole en tôle d'aluminium formée à froid, tandis que l'étambot est recouvert de feuilles d'aluminium rivetées. L'accès à la cabine se fait au moyen d'une porte latérale ouverte sur le flanc gauche du fuselage et articulée vers l'avant. Le poste de pilotage est protégé par un pare-brise galbé et un toit en plexiglas. Deux fenêtres en plexiglas, ouvertes sur chaque flanc, éclairent le poste d'équipage. Les pilotes sont assis cote à cote à l'avant de la cabine, tandis que le reste de l'équipage ou les passagers sont installés sur un siège placé du coté gauche du fuselage et sur une banquette latérale à deux places adossée au flanc droit. Les sièges de la cabine peuvent être enlevés pour laisser place à un réservoir supplémentaire de 40 gallons US ou à du fret. La roulette de queue, fixée sur la structure tubulaire, est montée folle sur son axe de manière à faciliter le roulage au sol dont la conduite est obtenue par action différentielle sur les freins des roues du train principal. Cette roulette doit être verrouillée dans l'axe du fuselage lors du décollage et de l'atterrissage de manière à assurer une bonne tenue de l'axe de piste. L'ensemble du fuselage est entoilé mais sur certaines versions la partie avant du fuselage peut être coffrée au moyen de panneaux de contre plaqué.


 l'AT 17 415 est en fait un UC 78 restauré et décoré aux couleurs d'un appareil d'entraînement américain de la deuxième moitié du conflit comme l'attestent les cocardes américaines dites à "oreilles" (Photo Ronald.J. Bokleman avec la courtoisie de Thé Hangar: http://www.the-hangar.com

L'aile, entièrement en bois, est construite en une seule partie autour de deux longerons dont les semelles sont en lamellé-collé de spruce. Les profils appartiennent à la série NACA 5, il s'agit d'un NACA 23014 à l'emplanture qui évolue vers un NACA 23012 au saumon avec un vrillage de -2°. Les nervures réalisées en treillis de baguettes de spruce sont enfilées sur les longerons. Le bord d'attaque est coffré en contre-plaqué 15/10 jusqu'au longeron principal de manière à constituer un caisson de torsion, l'extrémité de l'aile est également coffrée. L'aile est entièrement entoilée. Deux réservoirs métalliques de 60 gallons US chacun sont installés entre les emplantures et les nacelles moteur. La partie de l'aile située près de l'emplanture est renforcée et recouverte de contre-plaqué, elle est dotée d'un revêtement antidérapant permettant l'accès à bord et aux orifices de remplissage des réservoirs. La fixation de la voilure se fait par boutonnage des ferrures placées sur les longerons sur la structure du fuselage. Le bord de fuite est occupé par des volets de courbure et des ailerons construits en structure entoilée. Les ailerons sont équilibrés statiquement et aérodynamiquement par la méthode Frise. Les commandes d'ailerons sont réalisées par câbles, le débattement est de ±25°. Les volets de courbure qui peuvent se braquer jusqu'à 35° sont actionnés par des barres de torsion entraînées, par l'intermédiaire de roues dentées et de chaînes, au moyen d'un moteur électrique. La structure principale des nacelles moteurs est constituée d'une structure triangulée en tubes d'acier soudés qui est fixée par boulonnage sur un renfort collé entre les semelles du longeron principal. A ce niveau, une liaison en tubes d'acier solidarise le longeron principal et le longeron arrière de manière à permettre une répartition des efforts entre les deux longerons. A l'avant de cette structure sont fixés la cloison pare-feu (sandwich de tôles de durai et d'amiante) et le bâti moteur réalisé en tubes d'acier soudés. Le moteur est fixé sur son bâti par boulonnage avec un système de silentbiocs. La partie centrale de la structure principale de la nacelle-moteur sert de support aux équipements moteurs (batterie, extincteur, réservoir d'huile de 19 litres,...) et au train d'atterrissage principal ainsi qu'à son mécanisme de rétraction actionné par un moteur électrique. Les nacelles sont revêtues d'un profilage monocoque réalisé en tôles de durai rivetées. Les moteurs sont recouverts par des capotages NACA démontables en deux parties. Voir le détail de la structure d'un Bobcat sur une vidéo réalisée lors du démontage d'une épave en vue de sa restauration.


La vue de dessous du Cessna Crane 1A montre le train rétracté et les roues qui dépassent nettement des nacelles moteurs
(Photo Eric Dumingan avec la courtoisie Thé Hangar: http://www.the-hangar.com )
 

Les Bobcat de première génération désignés AT8 furent équipés de moteurs Lycoming R-680 à 9 cylindres en étoile et développant 295 ch. Ce moteur fut ensuite remplacé sur les AT 17, UC 78 et Crane par des Jacobs L-4MB/R-755 à 7 cylindres en étoile d'une puissance de 225 ch. 

Moteur Jacobs  L4MB/R755 de 225 ch

Deux types d'hélices furent également utilisés: l'hélice Hartzell en bois à pas fixe et l'hélice Hamilton-Standard métallique à pas variable et vitesse constante. Le train d'atterrissage est composé d'une jambe principale équipée d'un amortisseur oléo-pneumatique Bendix immobilisé en rotation par un compas. A l'extrémité de l'amortisseur est fixée une demi-fourche qui supporte la roue. Les roues du train principal sont équipées de pneus basse pression et de freins hydrauliques indépendants actionnés par les pédales du palonnier. Le train se retracte vers l'arrière au moyen d'une commande électrique à chaîne et roues dentées et d'une commande de secours par vis sans fin. Une fois rétractées, les roues dépassent d'un rayon de la nacelle de manière à offrir une protection du fuselage et des moteurs en cas d'atterrissage train rentré.

La dérive et le plan fixe sont construits en bois et entoilés. Les gouvernes de direction et de profondeur sont construites en tubes, elles sont entoilées et compensées statiquement en aérodynamiquement. Des compensateurs réglables en vol et commandés par câbles sont disposés sur les bords de fuites.

Le pilotage du Bobcat était réputé agréable et facile en particulier à basse vitesse et dans les phases de décrochage même sur un moteur. Par contre le décollage sur un moteur s'avérait quelque peu scabreux si l'avion était trop chargé en carburant et/ou en passagers.


Le poste de pilotage d'un AT 17 est simple et clair. Les instruments de vol: bille-aiguille, horizon artificiel, conservateur de cap, anémomètre, altimètre, variomètre, les instruments moteurs: manomètre de pression d'admission, compte-tours, pression et température d'huile, pression d'essencesont regroupés au centre de la planche de bord.. Les contacts des magnétos et de pompes électriques sont placés à gauche du volant. Au centre de la planche de bord les commandes moteurs sont de gauche à droite: deux manettes de pression d'admission, deux manettes de pas d'hélice, deux manettes de réglage de la mixture. 

Bobcat des surplus militaires utilisé par les feeder airlines après la guerre

Le Bobcat en maquette

Le Bobcat constitue assurément un sujet de maquette séduisant:


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